Par Xiufang (Ava) Tu et Charlotte Goffaux
L’année lunaire du Serpent symbolise la transformation et le changement. Nous profitons de cette occasion pour vous fournir une mise à jour sur les mécanismes de contrôle des investissements directs étrangers (IDE) en matière de sécurité nationale aux niveaux de l’UE et de la Belgique.
Vue d’ensemble au niveau de l’UE
Depuis l’adoption du Règlement 2019/452 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union (le “Règlement IDE”), la Commission européenne (la “Commission”) impose de facto aux États membres de mettre en place un mécanisme national de filtrage des IDE.
Selon le quatrième rapport annuel de la Commission, publié le 17 octobre 2024, l’année 2023 a vu la mise en place de nombreux mécanismes nationaux de contrôle, notamment en Belgique. Bien que l’intérêt des investisseurs étrangers pour le marché de l’Union reste fort, les fusions-acquisitions et les investissements minoritaires ont diminué de 13 % par rapport à 2022[1].
Points clés du quatrième rapport annuel :
- En octobre 2024, 24 États membres sur 27 ont mis en place un mécanisme de filtrage des IDE. Les trois membres restants (Croatie, Chypre et Grèce) sont en train de procéder à l’adoption de leur mécanisme national[2] ;
-
Les États-Unis sont restés le premier investisseur étranger dans l’UE, représentant 30 % de toutes les acquisitions de participations et 36 % de tous les investissements en création d’entreprise, suivis du Royaume-Uni (25 % des fusions-acquisitions et 22 % des investissements en création), et des centres financiers offshore (7,9 % des acquisitions). La Chine et Hong Kong représentent 2,7 % des acquisitions et 6 % des investissements en création d’entreprise ;
Les principales destinations des investissements étrangers sont l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie ;
En 2023, 488 transactions ont été notifiées via le mécanisme de coopération du Règlement IDE, dont 92 % ont été clôturées en phase 1 (évaluation préliminaire), 8 % sont passées en phase 2 (examen approfondi). La Commission a émis un avis dans moins de 2 % des cas[3] ;
- Les principaux secteurs concernés sont l’industrie manufacturière (23 %), les technologies de l’information et de la communication (21 %), le commerce de gros et de détail (14 %), les activités financières (11 %), les activités professionnelles (11 %) et l’énergie (6 %).
Perspectives : une révision proposée au niveau de l’UE
La Commission a souligné les effets positifs de l’application du Règlement IDE pour protéger la sécurité et l’ordre public de l’Union. Toutefois, elle vise à renforcer cet instrument en :
- Garantissant que tous les États membres disposent d’un mécanisme national de filtrage ;
- Unifiant et définissant un champ d’application minimal des secteurs soumis à examen ;
- Élargissant la définition des investisseurs étrangers pour inclure les entités contrôlées par des individus étrangers ;
- Harmonisant les règles nationales pour rendre la coopération entre les États membres plus efficace.
Avant sa mise en application, cette révision devra passer par le processus législatif et être adoptée par le Parlement européen et le Conseil. La nouvelle réglementation est attendue pour 2027[4].
N.B. : Conformément à sa stratégie visant à protéger l’Union contre les risques de sécurité technologique et les fuites, la Commission a recommandé aux États membres d’examiner les investissements sortants dans des domaines technologiques critiques tels que les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et les technologies quantiques. Les États membres doivent soumettre leurs conclusions à la Commission d’ici le 30 juin 2026 afin d’orienter les décisions en matière de politique. Pour plus d’informations, veuillez consulter notre article intitulé « L’UE commence à contrôler les investissements sortants dans trois secteurs sensibles », publié le 17 janvier 2025.
Vue d’ensemble au niveau belge
La Belgique a commencé à appliquer un mécanisme de filtrage des IDE avec l’entrée en vigueur de l’Accord de Coopération (l'”Accord”) le 1er juillet 2023. Le contrôle des investissements étrangers est assuré par le Comité de filtrage interfédéral (“CFI”), composé de membres aux niveaux fédéral et régional, afin de protéger l’ordre public, la sécurité nationale et les intérêts stratégiques.
En septembre 2024, le SPF Économie a publié son premier rapport annuel.
Points clés du rapport belge :
- Au 30 novembre 2024, le CFI a traité 107 dossiers suite aux notifications des investisseurs. Un dossier a été examiné d’initiative ;
- Parmi ces 107 dossiers, 8 ont été soumis à un examen approfondi, 3 sont encore en attente, aucun dossier n’a été rejeté, et un dossier a été approuvé sous conditions [5] ;
- Le montant total des investissements sous notification s’élève à 063.295.544 EUR ;
- Les principaux investisseurs proviennent des États-Unis (42,34 %), du Royaume-Uni (66 %), et de la Chine (5,41 % soit 6 dossiers)[6] ;
-
Les principaux secteurs concernés sont les données (15,1 %), la santé (15,1 %), l’infrastructure numérique (11,6 %), le transport (10,5 %) et les communications électroniques (8,1 %).
Regard vers l’avenir : une révision à venir ?
Jusqu’à présent, aucune annonce de révision de l’Accord de coopération n’a été faite.
Notre expérience
Nous avons assisté des clients chinois et asiatiques dans le dépôt de dossiers auprès de l’ISC au cours de l’année écoulée. D’après notre expérience, la communication avec le secrétariat de l’ISC a été très fluide, toutes les soumissions ont été rapidement confirmées, et nous avons pu adresser nos questions directement au secrétariat.
Cependant, le mécanisme de filtrage et son application posent encore de nombreux défis :
-
La description générale des secteurs listés dans l’Accord de coopération complique l’interprétation pour les praticiens quant à savoir si certains investissements entrent dans le champ d’application du dépôt, et peu de lignes directrices ont été mises à disposition. En cas de doute, l’ISC recommande systématiquement à l’investisseur de contacter la Commission en amont.
-
Toutefois, les investisseurs préfèrent obtenir des clarifications sur les exigences de dépôt dès le début de leurs discussions avec des vendeurs potentiels ou pendant la formation d’un consortium. En règle générale, ils ne sont pas enclins à solliciter une pré-consultation avec l’ISC avant de prendre une décision d’investissement.
-
Si une transaction n’est pas approuvée lors de la phase de vérification et passe en phase de filtrage, l’ensemble du dossier est transmis à la Commission et aux autres États membres pour commentaires et avis. Ce processus peut être long et incertain, rendant difficile pour les investisseurs et la société cible de prévoir la clôture de l’opération.
-
La procédure peut être suspendue pour diverses raisons, notamment en cas de demande d’informations complémentaires ou de prolongation demandée par les autorités. Il n’existe pas de limite au nombre de suspensions que l’ISC peut imposer. Par ailleurs, certaines questions ou demandes d’informations supplémentaires de l’ISC manquent parfois de clarté et peuvent être répétitives.
-
Dans certaines transactions, la société cible a un besoin urgent de financement dans un délai court. La procédure devient alors un véritable obstacle. Nous avons observé des cas où le dépôt a été abandonné en raison de ces incertitudes.
-
La société cible doit fournir une quantité importante d’informations, ce qui représente un défi certain pour certaines PME. De plus, les parties doivent porter une attention particulière à la confidentialité des informations déposées et définir clairement leurs responsabilités. Par exemple, comment traiter les informations confidentielles échangées si les parties décident de mettre fin à la transaction et de se séparer.
-
Les autorités peuvent exiger toutes sortes d’informations sur le marché, l’entreprise et le groupe d’investisseurs étrangers. Des dépôts incomplets ou inexacts peuvent entraîner des sanctions financières. Les entreprises publiques et les grandes multinationales peuvent rencontrer des difficultés liées à leurs processus internes d’approbation pour de telles divulgations.
Enfin, les termes relatifs à la date de clôture, à l’obligation de collaboration, à la date butoir et aux engagements de responsabilité en cas de non-approbation du dépôt sont des points essentiels de négociation entre les parties.
Derniers mots
Si le processus d’examen des investissements étrangers au titre de la sécurité nationale reste lourd et imprévisible, il risque d’éloigner les investisseurs étrangers du marché belge. Nous espérons que des lignes directrices plus précises seront mises à disposition à mesure que l’ISC et les praticiens accumulent de l’expérience.
* * *
Pour toute information sur les investissements étrangers, l’examen de sécurité nationale et le contrôle des investissements en Belgique et dans l’UE, veuillez contacter le DALDEWOLF CHINA & ASEAN DESK (Xiufang Ava Tu, atu@daldewolf.com).
[1] Register of Commission Documents – COM(2024)464
[2] Register of Commission Documents – COM(2024)464
[3] COM(2024)464.pdf
[4] Carriages preview | Legislative Train Schedule.
[5] La Chambre de Représentants – Written Question and Answer No. 56-74: Implementation of the November 30, 2022, cooperation agreement to establish a foreign direct investment screening mechanism.
[6] SPF Économie, Comité de filtrage interfédéral – Figures presented at the information session organized at the FEB on December 12, 2024.