
The OFFICI@L – n° 105 – octobre 2025, notre newsletter dédiée aux fonctionnaires de l’Union européenne, vient de paraître. Elle est disponible tant en français qu’en anglais..
Éditorial
Chers lecteurs,
Avec le passage à l’heure d’hiver et les jours qui raccourcissent, ce numéro vous propose une pause lecture autour de sujets qui méritent attention.
Ce mois-ci, nous vous proposons un focus sur la liberté d’expression des fonctionnaires et agents.
En jurisprudence, nous analysons l’arrêt qui a annulé la décision du secrétaire général du Parlement européen de ne pas confirmer un chef d’unité à l’issue de sa période d’essai, ainsi que la décision de le transférer dans une autre unité.
Dans notre rubrique « Droit belge », nos collègues spécialisés en droit bancaire vous sensibiliserons contre les fraudes « cum-cum ».
Des suggestions de sujets pour une prochaine newsletter ? N’hésitez pas à nous contacter par mail : theofficial@daldewolf.com
Bonne lecture !
L’équipe DALDEWOLF

DALDEWOLF
– Droit de l’Union européenne et droit humains
THIERRY BONTINCK – ANAÏS GUILLERME – MARIANNE BRÉSART – LAURA JAKOBS – LUCIE MARCHAL – LOUISE BOUCHET – SABRINA NAPOLITANO – FEDERICO PATUELLI
– Droit belge
DOMINIQUE BOGAERT
En partenariat avec le cabinet PERSPECTIVES
– Droit de la famille
CANDICE FASTREZ
Focus – La liberté d’expression des fonctionnaires : un droit fondamental encadré
Avec la multiplication des réseaux sociaux permettant aux fonctionnaires et aux agents de communiquer très rapidement des opinions sur des sujets variés, l’appréciation de l’équilibre entre la liberté d’expression individuelle des fonctionnaires et agents, et le respect de leurs obligations envers leur employeur, institutions européennes chargées d’une mission d’intérêt général, est de plus en plus délicate.
La liberté d’expression est un droit reconnu aux fonctionnaires et agents par l’article 17bis du Statut et l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, y compris dans des domaines couverts par l’activité des institutions. Cette liberté comprend celle d’exprimer, verbalement ou par écrit, des opinions personnelles différentes ou minoritaires de celles retenues au niveau officiel. Admettre en effet que la liberté d’expression puisse être limitée au seul motif que l’opinion en cause diffère de la position retenue par les institutions reviendrait à priver ce droit fondamental de son objet (arrêt du 14 juillet 2000, Cwik/Commission, T-82/99, § 58).
Toutefois la liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Elle comporte pour le fonctionnaire ou l’agent qui l’exerce des devoirs et des responsabilités, de sorte qu’elle peut être soumise à certaines conditions ou restrictions.
La liberté d’expression du fonctionnaire ou agent de l’Union est encadrée par l’article 17bis du Statut.
Le régime général : un équilibre entre la liberté d’expression et les devoirs de loyauté
L’article 17bis, alinéa 1er, du Statut prévoit de manière générale que « le fonctionnaire a droit à la liberté d’expression, dans le strict respect des principes de loyauté et d’impartialité ».
Ce devoir général de loyauté implique que le respect dû par le fonctionnaire à la dignité de sa fonction ne se limite pas au moment particulier où il exerce une tâche spécifique, mais s’impose à lui en toute circonstance (arrêt du 23 octobre 2013, F-80/11 § 65). On comprend donc que ce principe s’applique également lorsque le fonctionnaire ou l’agent s’exprime oralement, par écrit, ou sur les réseaux sociaux. Le devoir de loyauté limite en effet la liberté d’expression du fonctionnaire ou de l’agent lorsque par des affirmations, ce dernier est susceptible d’affecter, de manière grave et sérieusement négative, l’image et la dignité des institutions européennes (arrêt du 15 septembre 2017, T-585/16 § 86).
La nécessité d’un « disclaimer » découle souvent de cette exigence de loyauté, afin d’éviter que des opinions personnelles ne soient confondues avec des positions officielles des institutions européennes.
Cependant, l’utilité de la liberté d’expression réside précisément dans la possibilité, pour le fonctionnaire ou l’agent, d’exprimer des opinions différentes de celles retenues au niveau officiel. Admettre que la liberté d’expression puisse être limitée au seul motif que l’opinion exprimée diffère de la position retenue par les institutions, reviendrait à priver ce droit fondamental de sa raison d’être (arrêt du 14 juillet 2000, T-82/99, § 58).
C’est uniquement dans le cas où les opinions exprimées compromettraient les intérêts de l’Union européenne que la liberté d’expression du fonctionnaire ou de l’agent pourrait se voir limitée.
Ainsi, peuvent être considérées comme compromettant les intérêts de l’Union des prises de positions qui contrediraient frontalement ou critiqueraient les actions des institutions européennes, ses programmes ou ses directions générales en utilisant des expressions offensantes susceptibles de porter atteinte au respect dû aux membres des institutions de l’UE ou à leurs fonctions.
Dans une affaire récente (arrêt du 23 juillet 2025, T-108/24 §§ 87-91), le Tribunal a évalué le manquement à l’article 17bis du Statut au vu de la « gravité » et du « ton » des propos exprimés par un fonctionnaire, et aussi du fait que les accusations se fondent sur « une présentation déformée de la réalité, dépourvue de toute base factuelle ». Par ailleurs, le Tribunal a confirmé la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme selon laquelle le fait que la personne à l’encontre de laquelle les propos litigieux sont dirigés est un personnage public ou un « haut fonctionnaire », qui s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes par les journalistes et les citoyens, n’implique pas pour autant que le droit à la liberté d’expression d’un fonctionnaire permet à celui-ci de formuler des propos qui sortiraient des limites acceptables de la liberté d’expression – tel que formuler des accusations se fondant sur une présentation déformée de la réalité, dépourvue de toute base factuelle.
Les publications sur l’activité de l’Union
L’article 17bis, paragraphe 2, du Statut prévoit que le fonctionnaire ou agent est tenu à une obligation d’information préalable de l’AIPN lorsqu’il a l’intention de publier ou de faire publier un texte, tel qu’un article de journal ou un article scientifique, dont l’objet se rattache à l’activité de l’Union. Ce critère est interprété de manière extensive par la Cour de justice (arrêt du 10 juin 2020, Sammut/Parlement européen, T-608/18, §§ 62-77). La notion d’activité de l’union englobe tout sujet lié aux compétences de l’union ou actions des institutions européennes Par exemple, un ouvrage publié qui traitait principalement de la politique intérieure d’un Etat membre a été considéré comme relevant de l’activité de l’Union car il abordait des faits faisant l’objet d’une enquête menée par la commission PANA créée par le Parlement européen en matière de fraude fiscale. Par ailleurs, l’ouvrage faisait des références explicites à des institutions ou symboles de l’Union dans son titre, dans son contenu et sur sa couverture.
L’AIPN peut, dans les 30 jours ouvrables suivant la réception de l’information transmise par le fonctionnaire, l’informer que cette publication est susceptible de porter atteinte aux intérêts légitimes de l’Union. L’AIPN pourrait uniquement refuser d’octroyer l’autorisation si la publication est de nature à causer un grave préjudice aux intérêts de l’Union.
Les sanctions
Le non-respect du régime de la liberté d’expression des fonctionnaires et agents peut entraîner des sanctions disciplinaires, notamment en cas de non-respect de l’obligation de notification préalable de l’intention de publier ou du devoir de loyauté.
Concernant l’article 17bis, alinéa 1er, un manquement au devoir de loyauté dans l’exercice de la liberté d’expression peut être constaté même sans préjudice avéré pour l’Union ou en l’absence de plainte externe (arrêt du 23 octobre 2013, F-80/11 § 66). Toutefois, toute sanction disciplinaire doit être proportionnée et évaluée au cas par cas. Des éléments tels que la bonne foi, l’intérêt général poursuivi, la véracité de l’information ou l’existence de moyens alternatifs de divulgation peuvent être pris en compte pour apprécier la légitimité des prises de position du fonctionnaire.
En outre, et sans nécessairement aller jusqu’à une procédure disciplinaire, l’absence de notification d’une publication peut être mentionnée dans le rapport de notation comme un incident ponctuel, dès lors qu’il s’agit d’une obligation claire issue du Statut (arrêt du 10 juin 2020, T-608/18, § 72).
Jurisprudence – L’arrêt EP/Parlement (T-370/24)
Une institution est-elle tenue de donner la possibilité au fonctionnaire de s’améliorer pour réussir la période d’essai ? Quelles sont les conditions ? Le Tribunal a apporté une réponse à ces questions dans son arrêt du Tribunal du 1er octobre 2025.
Les faits
La requérante, à l’issue d’une procédure de sélection, avait été nommée cheffe d’unité, avec une période d’essai allant du 1er janvier au 30 septembre 2023.
Durant cette période, elle a reçu, le 27 avril, des conseils de son supérieur hiérarchique pour améliorer ses pratiques managériales, puis, le 1er août, des critiques sur son travail et son attitude. Une réunion formelle s’est tenue début août, suivie d’un plan d’action proposé par la requérante.
Le 31 août, un rapport d’évaluation défavorable a été établi, recommandant de ne pas la confirmer dans ses fonctions et de la réaffecter à un poste sans responsabilités d’encadrement. La requérante n’a pas été confirmée et a été transférée dans une autre unité.
L’arrêt
En accueillant le moyen tiré de la violation du devoir de sollicitude, le Tribunal a constaté que le Parlement n’avait pas laissé à la requérante un délai suffisant pour adapter son comportement aux critiques émises avant l’établissement du rapport d’évaluation. Le Tribunal a rappelé sa jurisprudence constante, selon laquelle la personne en période d’essai doit bénéficier d’instructions et de conseils appropriés pour s’adapter aux exigences spécifiques du poste. Il a aussi relevé la violation des règles internes du Parlement relatives à des telles périodes d’essais, lesquelles imposent un délai d’au moins quatre mois avant la fin de la période d’essai afin de permettre aux personnes en difficulté de tirer parti des observations formulées. Or, les critiques ont été exprimées le 1er août 2023 et le rapport négatif établi le 31 août 2023, soit peu de temps avant la fin de sa période de confirmation.
Le Tribunal a également considéré que les conseils transmis le 27 avril ne remplissaient pas les conditions prévues par ces règles internes, puisqu’ils ne s’agissaient que d’un retour d’information continu sur l’évaluation. Ce n’est qu’avec la lettre du 1er août que la requérante a été informée d’un risque de non-confirmation dans son poste d’encadrement, déclenchant la procédure prévue par les règles internes.
Le Tribunal a donc annulé la décision de non-confirmation ainsi que la décision de transfert, cette dernière étant indissociable de la première.
La requérante n’a pourtant pas obtenu d’indemnité. En effet, le Tribunal a rejeté la demande indemnitaire, considérant que les conditions cumulatives pour engager la responsabilité de l’Union n’étaient pas remplies. La décision de non-confirmation ayant été annulée et étant censée n’avoir jamais existé, et puisqu’aucune raison objective n’empêchait la requérante de postuler à d’autres postes de chef d’unité, le préjudice de carrière invoqué était hypothétique. Quant au dommage lié au transfert, elle n’a pas démontré un préjudice réel et certain, se limitant à évoquer un sentiment d’isolement, ce qui ne constitue pas un préjudice moral susceptible d’être réparé par l’annulation de la décision. Enfin, les arguments relatifs à l’impact sur la santé, présentés tardivement, ont été déclarés irrecevables.
Conclusion
L’arrêt démontre l’importance des éléments de preuve produits devant le Tribunal.
Le Parlement n’a pas établi que la hiérarchie avait exprimé, lors des réunions régulières pendant la période d’essai, une insatisfaction susceptible de conduire à la non-confirmation de la requérante dans ses fonctions de cheffe d’unité. Cette absence de preuves a entraîné l’annulation des deux décisions.
De son côté, la requérante n’a pas réussi à démontrer un préjudice réel et certain, ce qui a justifié le rejet de sa demande de compensation financière.
Droit belge – Fraudes fiscales, la fraude “cum-cum” revient sur le devant de la scène
Avec la contribution du département Droit bancaire et financier, DALDEWOLF
Un mot que vous risquez d’entendre bientôt dans les débats fiscaux européens : la fraude dite « cum-cum ». Derrière ce nom énigmatique se cache un mécanisme d’optimisation fiscale qui a déjà coûté des milliards aux États.
Alors que les États membres renforcent leur vigilance fiscale et que les institutions européennes poursuivent leurs efforts en matière de transparence financière, ce mécanisme controversé refait surface dans l’actualité.
Mais de quoi s’agit-il exactement ? Et pourquoi les banques sont-elles aujourd’hui dans le viseur des autorités ?
Une mécanique fiscale détournée
Le point de départ est un principe fiscal bien établi : lorsqu’un investisseur perçoit un dividende, une retenue à la source est appliquée, généralement entre 25 % et 30 %, afin d’assurer une taxation minimale, notamment pour les non-résidents.
Pour contourner cette retenue, certains investisseurs étrangers ont eu recours à un montage consistant à prêter temporairement leurs actions à des résidents locaux, moins imposés. Ces derniers percevaient les dividendes avec une fiscalité allégée, restituaient ensuite les titres… et partageaient l’avantage fiscal avec les prêteurs.
Ce mécanisme, bien que présenté comme une optimisation, a pour effet de faire disparaître l’impôt qui aurait dû être versé au Trésor.
Des pertes fiscales massives et des enquêtes en cours
Plusieurs États européens ont vu s’évaporer des recettes fiscales considérables. Des enquêtes judiciaires et administratives sont en cours, visant des investisseurs, des fonds d’investissement, mais aussi des établissements bancaires. Certaines banques sont soupçonnées d’avoir conçu et commercialisé ces montages. D’autres, impliquées de manière indirecte, doivent aujourd’hui démontrer la robustesse de leurs dispositifs de conformité.
Constitue un exemple emblématique à ce sujet le cas des cinq banquiers qui ont été renvoyés devant le juge en Allemagne dans le cadre de la première affaire pénale allemande liée à la fraude cum-cum. Cette affaire marque une intensification des poursuites contre les acteurs financiers soupçonnés d’avoir facilité ou profité de ces schémas d’optimisation fiscale agressive.
Le rôle des établissements bancaires
Les banques jouent un rôle technique dans la mise en œuvre de ces opérations : elles assurent le prêt de titres, le règlement-livraison, ainsi que la tenue de compte. Toutefois, leur responsabilité ne se limite pas à l’exécution. Certaines ont été accusées d’avoir activement participé à la structuration de ces montages, tandis que d’autres doivent prouver qu’elles ont été instrumentalisées sans en avoir conscience.
Un sujet qui semble technique, mais qui concerne tout le monde
Derrière les montages fiscaux comme la fraude cum-cum se cachent des enjeux très concrets de justice fiscale, de transparence financière et de bonne gouvernance — des piliers au cœur des préoccupations institutionnelles européennes. Comprendre ces mécanismes, même complexes, permet à chacun de mieux saisir les défis qui se posent à l’Union en matière de fiscalité. C’est un sujet qui mérite d’être discuté, partagé, et intégré dans les réflexions stratégiques sur l’avenir de l’Union fiscale.