
The OFFICI@L – n° 100 – février/mars 2025, notre newsletter dédiée aux fonctionnaires de l’Union européenne, vient de paraître. Elle est disponible tant en français qu’en anglais.
Éditorial
Chères lectrices, chers lecteurs,
La 100ème de the Offici@l !
Voici plus de dix années que notre équipe se réjouit de chaque mois, ou presque, échanger avec les fonctionnaires et les agents de l’UE à travers ce média. Votre fidélité nous a motivé à poursuivre l’aventure. Vos retours nous encouragent à sans cesse améliorer nos contenus.
Un anniversaire est avant tout l’occasion de se tourner vers l’avenir et c’est ce que nous vous proposons dans ce numéro en vous proposant trois courtes réflexions sur l’avenir de la fonction publique européenne.
Nous émettons le souhait que ces quelques réflexions suscitent le débat et que nous puissions recueillir vos commentaires pour en débattre dans des prochains numéros
Une première réflexion est consacrée à l’évolution vers des espaces de travail ouverts et au télétravail. Cette évolution modifie les interactions entre collègues et la manière de communiquer et met en lumière l’importance de créer des environnements flexibles et inclusifs
Une deuxième réflexion est consacrée à la disparition progressive des concours et à l’augmentation des agents contractuels et temporaires. Ces évolutions posent des questions cruciales sur l’accès et l’équité au sein de la fonction publique européenne. Celle-ci est-elle en train de rejoindre-elle les modèles de la fonction publique internationale, sans concours ni poste fixe ?
Enfin, troisième réflexion, nous examinons l’impact de l’intelligence artificielle, qui pourrait faire disparaître certains postes, transformant ainsi les compétences requises et les rôles au sein des institutions.
En route donc pour le numéro 200 ! Mais surtout n’oubliez pas, cette newsletter est la vôtre et nous sommes plus que jamais à l’écoute de vos suggestions et observations. Ecrivez nous : theofficial@daldewolf.com.
L’équipe DALDEWOLF

DALDEWOLF
– Droit de l’Union européenne et droit humains
THIERRY BONTINCK – ANAÏS GUILLERME – MARIANNE BRÉSART – LAURA JAKOBS – LUCIE MARCHAL – LOUISE BOUCHET – SABRINA NAPOLITANO – FEDERICO PATUELLI
– Droit belge
DOMINIQUE BOGAERT
En partenariant avec le cabinet PERSPECTIVES :
– Droit de la famille
CANDICE FASTREZ
Télétravail et open space – Évolution de l’espace de travail
1. Télétravail
Le télétravail constitue un enjeu essentiel pour l’avenir de la fonction publique européenne. Il pose en effet de nombreuses questions sur la nature même du travail, sur l’exercice des différents métiers, sur l’organisation du temps de travail, sur les opportunités et les contraintes, et sur les droits et les obligations des fonctionnaires européens. De plus, son intensification dans les institutions, organismes et organes de l’UE à la suite de la pandémie liée au Covid-19 a fait également ressortir les risques qu’il peut induire en termes de santé et de sécurité au travail.
Face à ces questions et ces risques, un encadrement de l’utilisation du télétravail est très vite apparu nécessaire, voire indispensable. La décision C(2022) 1788 final adoptée par la Commission le 24 mars 2022 sur le temps de travail et le travail hybride a ainsi fixé les règles et principes de base en la matière. L’un de ces principes est le caractère volontaire du télétravail : en effet, sauf cas exceptionnel, le personnel de la fonction publique européenne doit avoir pleinement le choix d’avoir recours ou non au télétravail et a le droit de se rendre au bureau tous les jours sans autorisation préalable, y compris lorsqu’il est autorisé à télétravailler. Encore faut-il toutefois qu’il reste assez de places disponibles dans les bureaux au sein des différents bâtiments abritant les institutions de l’UE … ce qui n’est pas chose gagnée lorsque l’on sait que certaines d’entre elles, à l’instar de la Commission par exemple, ont mis en œuvre une politique particulièrement restrictive de gestion de leurs bâtiments au cours de ces dernières années, qui se manifeste notamment par une réduction drastique du nombre de bureaux.
Si le télétravail est généralement apprécié, ce n’est pas forcément parce qu’il augmente le bien-être ou l’efficacité au travail mais parce qu’il permet une meilleure gestion du temps, notamment une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Cependant, cet avantage du télétravail va parfois paradoxalement de pair avec une augmentation du temps de travail et des heures supplémentaires et donc une remise en cause de l’équilibre vie privée / vie professionnelle. Cela a donné lieu à une discussion sur la nécessité d’un véritable « droit à la déconnexion », droit qui n’est pas encore vraiment garanti aujourd’hui au sein de la fonction publique européenne.
2. Open space
Partager son bureau est devenu de plus en plus la norme : moins de fonctionnaires disposent d’un espace individuel, au profit de lieux collectifs comme l’open space.
Du bureau individuel à l’open space en passant par le télétravail : comment mieux travailler ensemble ?
L’open space est ce plateau ouvert où les espaces de travail et les bureaux ne sont plus séparés par des cloisons. Il a souvent été présenté à ses débuts comme favorisant le travail collectif, renforçant la créativité et permettant d’hybrider les compétences. La pandémie de Covid-19 a entraîné un certain nombre de questionnement quant à cette nouvelle manière de travailler et a favorisé le développement du télétravail.
Dans un open space on devient en quelque sorte un « nomade du travail » amené à se déplacer au gré des disponibilités. Cette configuration peut amener des satisfactions en termes d’échanges, de construction de solutions d’équipe, mais le fonctionnaire peut aussi avoir l’impression de se « retrouver seul avec les autres ». Les autres amènent alors les facteurs de nuisance qui l’obligent constamment à chercher des lieux plus calmes, des salles de réunions pour pouvoir se concentrer. Or, l’espace de travail a un impact important sur le bien-être et, selon les études, la satisfaction chute lorsque les fonctionnaires travaillent en open space. Ainsi, il est apparu une certaine dualisation dans le travail entre ceux qui disposent d’un bureau fixe dans lequel ils peuvent s’enraciner et prendre possession de l’espace et du travail, et les autres qui travaillent en open space, ce qui peut représenter un véritable déracinement dans le travail pour certains.
C’est le contexte dans lequel a surgi le télétravail au moment de la pandémie : ces tracas que pouvait générer le travail en open space et cette inégalité entre ceux qui avaient un bon bureau pour se concentrer et ceux qui étaient au milieu de leurs collègues et avaient peut-être plus de mal à le faire. Ceci explique par ailleurs sans doute le succès qu’a rencontré le télétravail, pratique de plus en plus répandue.
Toutefois, il ne faut pas mettre de côté le fait que l’apparition de l’open space et une pratique plus répandue du télétravail a également permis de créer un environnement de travail plus flexible et inclusif qui tend à améliorer le bien-être des fonctionnaires en ce sens qu’il s’adapte aux besoins de ces derniers, permet d’intégrer des profils plus variés, promeut des contacts plus directs ainsi qu’un environnement de travail accessible à tous.[1]
[1] Cette note a été rédigée notamment à la lecture du rapport de novembre 2024 (cahier n° 49) du Groupe de Réflexion sur l’avenir du Service Public Européen (GRASPE).
Disparition de concours et augmentation des agents contractuels et temporaires de l’UE : un nécessaire changement de paradigme ?
1. Etat actuel :
Grâce à leur cadre d’emploi, les institutions de l’UE attirent, recrutent et conservent un personnel hautement qualifié et multilingue, sélectionné sur la base géographique la plus large possible parmi les citoyens des Etats membres[1]. Elles déterminent ainsi les emplois dont elles ont besoin et mettent à jour les aptitudes et compétences qui font défaut au sein de leur personnel et appliquent des procédures de recrutement souples en fonction de leurs besoins. Les conditions de travail et les avantages offerts en matière d’emploi sont compétitifs et permettent aux institutions d’attirer et de retenir des candidats de tous les Etats membres, pour tous les profils d’emploi.
C’est la vision séductrice de la fonction publique européenne ! Un rêve pour de nombreux citoyens européens, un rêve jalousé souvent, mais celui-ci est-il toujours aussi mirifique ?
Les problèmes liés aux concours qui sont organisés pour l’ensemble des institutions européennes par l’Office européen de sélection du personnel (« EPSO ») sont devenus un enjeu majeur pour la politique de recrutement européenne. Comme le note le Rapport spécial de la Cour des comptes européenne sur l’avenir de la fonction publique européenne, EPSO a été confronté à une série de problèmes suite à la pandémie de COVID-19 qui a gravement perturbé l’organisation des tests en présentiel et les retards accumulés n’ont pas été entièrement résorbés. L’EPSO a dû notamment suspendre ou annuler certains concours tout en mettant au point un nouveau modèle de concours, dont le déploiement a été mis à mal par des problèmes informatiques. Ainsi selon le rapport de la Cour des comptes, de 2019 à 2023, moins de concours ont été lancés (diminution de 35 %) et menés à terme (diminution de 38%) que les cinq années précédentes, ce qui a réduit le nombre de candidats disponibles pour répondre aux besoins de recrutement.
Le Rapport spécial de la Cour des comptes européenne note que les difficultés rencontrées par l’EPSO se sont traduites par un recrutement accru d’agents temporaires ou contractuels. Alors qu’en principe, la fonction publique européenne était dans sa très grande majorité composée de fonctionnaires, conformément au principe selon lequel une administration indépendante s’appuie sur des agents dont l’emploi est stable et qui sont protégés contre les licenciements abusifs, le nombre de membres du personnel sous contrat à durée déterminée (agents contractuels et temporaires) a fortement augmenté ces dernières années représentant 34 % du personnel en 2023. Employer des agents temporaires offre certes une plus grande souplesse pour les institutions européennes (ils sont plus faciles à recruter, pour des périodes plus courtes et sous des contrats plus aisément résiliables), mais cette pratique comporte un risque important de perte des connaissances acquises, une instabilité de l’emploi et un risque pour la continuité des activités des DG concernées.
Ces différents constats se retrouvent notamment dans les recommandations formulées dans le Rapport spécial de la Cour des comptes européenne, qui établit que le moment est venu d’adapter le processus de sélection à des besoins de recrutement en pleine évolution. Même si dans l’ensemble, il a été conclu que les concours organisés par l’EPSO avaient permis aux institutions de satisfaire leurs besoins en matière de recrutement d’agents ayant un profil de généraliste, ils ont été moins efficients et moins efficaces pour le recrutement de spécialistes.
2. Parallèle avec les autres organisations internationales
Le recrutement par concours, tel qu’il est pratiqué au sein des institutions européennes, demeure une exception dans le paysage international. La plupart des organisations internationales privilégient des procédures pour le recrutement de leurs fonctionnaires plus flexibles, similaires à celles appliquées aujourd’hui pour le recrutement des agents temporaires ou contractuels de l’UE.
La plupart des organisations internationales, telles que les Nations Unies, l’OSCE, l’OCDE ou encore l’OTAN, adoptent un processus de recrutement basé sur la publication d’offres d’emploi correspondant à des postes spécifiques. Cette procédure repose sur des critères précis, suivie d’une présélection des candidats en fonction de leurs qualifications et de leur expérience. Ensuite, diverses épreuves en ligne, des questionnaires, des évaluations techniques et des entretiens permettent d’affiner la sélection.
Un des outils fréquemment utilisés est le “roster”, une liste de candidats présélectionnés à l’issue d’un processus de recrutement pour un type de postes. Ce système vise à permettre aux organisations internationales de répondre rapidement à leurs besoins en personnel qualifié. Cette pratique, initialement ancrée dans le système onusien, tend à se généraliser dans d’autres institutions internationales, offrant une alternative plus flexible et rapide pour le recrutement.
Quel avenir pour la fonction publique européenne ?
L’avenir de la fonction publique européenne semble voué à une modernisation de son mode de recrutement, notamment face aux défis rencontrés par l’EPSO, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes européenne, et à l’évolution des pratiques internationales.
La mise en place d’un système de roster, constituant un vivier de candidats présélectionnés, permettrait un recrutement plus rapide et ciblé. Cette approche pourrait répondre aux difficultés mises en avant dans le rapport de la Cour des comptes, notamment en matière de délais de sélection. De surcroît, elle offrirait une plus grande flexibilité, comme l’est actuellement le recrutement des agents temporaires, les procédures de sélection n’étant plus contraintes par un calendrier interinstitutionnel fixe et pouvant être organisées en fonction des besoins réels.
Ce dispositif pourrait s’intégrer à un modèle mixte combinant concours et entretiens oraux, garantissant à la fois transparence et efficacité. Les agences européennes appliquent déjà un système similaire, avec des listes de réserve pour les candidats retenus à l’issue du processus de sélection.
Une autre possibilité, déjà mise en œuvre et mentionnée dans le rapport de la Cour des comptes, est l’organisation croissante de concours internes afin de retenir les agents temporaires, dont le nombre ne cesse d’augmenter.
Ces évolutions marquent-elles la fin du concours comme mode principal d’accès à la fonction publique européenne ? S’il est indéniable que la modernisation du recrutement au sein des institutions européennes est devenue une nécessité, notamment face aux difficultés rencontrées par l’EPSO, le concours demeure un outil essentiel pour garantir l’impartialité et l’égalité des chances. Cependant, son manque de flexibilité et la lenteur des procédures le rendent de moins en moins adapté aux besoins spécifiques et urgents des institutions.
L’avenir du concours en tant que principal mode de sélection dépendra donc de la capacité de l’EPSO à réformer et à moderniser ses processus. À défaut, les institutions européennes pourraient être contraintes d’adopter des méthodes de recrutement plus souples, marquant ainsi une évolution significative du paysage de la fonction publique européenne. Dans ce cas, le prix à payer pourrait être l’abandon progressif des principes qui ont permis à la fonction publique européenne, dès l’origine, de fournir un service indépendant, transparent et efficace aux citoyens de l’UE.
[1] Règlement (UE, Euratom) 1023/2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne.
IA dans la fonction publique – Réflexion de la Cour de justice et le ChatGPT pour les fonctionnaires français
La fonction publique française est sur le point de franchir une nouvelle étape dans l’ère numérique avec l’introduction d’un agent conversationnel inspiré de ChatGPT.
Cet outil sera bientôt mis à la disposition des 5,7 millions d’agents publics en France. Développé en collaboration avec des entreprises françaises comme Mistral, ce logiciel conversationnel permettra aux fonctionnaires d’effectuer des recherches, de rédiger des courriers, de synthétiser des documents et même de traduire des textes. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large du gouvernement français visant à renforcer l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les services publics. En plus de l’agent conversationnel, le gouvernement prévoit d’investir dans des infrastructures telles que des data centers pour soutenir le développement de l’IA en France.
En réalité, la Commission européenne dispose déjà de son propre outil d’intelligence artificielle depuis 2017 : eTranslation. Ce service de traduction automatique avancé permet de traduire des documents dans toutes les langues officielles de l’UE, ainsi que dans plusieurs autres langues, tout en maintenant toutes les données traitées au sein des pare-feu de la Commission. En plus de traduire des textes, eTranslation peut également être utilisé comme extension sur des sites web, facilitant ainsi l’accès au contenu dans la langue de préférence de l’utilisateur.
Outre eTranslation, plusieurs autres outils d’IA sont en cours de développement ou déjà utilisés dans la fonction publique de l’UE. Par exemple, des assistants virtuels et des chatbots sont déployés pour répondre aux questions des citoyens et fournir des informations en temps réel. Voici quelques-uns de ces outils :
- eBriefing : Génération de rapports à partir de jeux de documents dans des styles officiels ou généraux.
- eReply : Aide à la préparation de réponses à des correspondances, des requêtes et d’autres demandes.
- eSummary : Résumé rapide du contenu principal de longs documents.
- Multilingual Post : Traductions courtes en plusieurs langues en une seule fois.
- Speech-to-Text : Transcription ou sous-titrage complet de médias téléchargés.
- Natural Language Processing Tools (NLP) : Outils de traitement du langage naturel pour l’anonymisation, la classification et la reconnaissance d’entités nommées.
Ces outils sont conçus pour améliorer l’efficacité et la précision des services publics en matière de gestion linguistique. Ils sont accessibles aux institutions de l’UE, aux administrations publiques, aux PME, au monde académique, aux ONG et aux projets du programme Digital Europe.
Cependant, pour que ces outils soient pleinement efficaces, il est essentiel que les fonctionnaires et agents publics se forment à leur utilisation. En se formant et en développant de nouveaux outils, les agents peuvent non seulement améliorer leur efficacité, mais aussi éviter le risque de disparition de leurs postes de travail. En effet, l’intelligence humaine reste un atout indispensable pour faire fonctionner l’intelligence artificielle de manière optimale et éthique.
En conclusion, l’intelligence artificielle ouvre un vaste champ de possibilités pour moderniser et optimiser les services publics. Toutefois, il est impératif de maîtriser les risques inhérents et de veiller à ce que les fonctionnaires et agents publics soient adéquatement formés et activement impliqués dans le développement et l’utilisation de ces technologies. Leur intelligence humaine demeure un atout indispensable pour exploiter pleinement les bénéfices de l’IA et garantir un service public de qualité.
L’IA est un allié des agents et fonctionnaires, à condition de se former pour ne pas être dépassés !